Le yacht, le marchand d'armes et les ministres
Ziad Takieddine est l’homme d’un clan, qu’il aime réunir pour les grandes occasions. Ainsi, ce 27 juin 2002, il célèbre lors d’un fastueux dîner la victoire de la droite à la présidentielle et aux législatives, qui marque le retour en grâce − et au gouvernement − des ex-balladuriens.Parmi les invités, Renaud Donnedieu de Vabres, ancien membre de l’équipe de campagne de Balladur, ex-ministre aux affaires européennes et futur ministre de la culture; Jean-François Copé, secrétaire d’État aux relations avec le Parlement − qui avait soutenu Chirac en 1995 sans retrouver de place dans le gouvernement Juppé; Brice Hortefeux, alors membre du cabinet du ministre de l’intérieur, Nicolas Sarkozy; Christian Estrosi, alors député; et… Thierry Gaubert, placardisé depuis sa mise en cause dans des affaires immobilières des Hauts-de-Seine. Étienne Mougeotte, alors vice-président de TF1, et Thierry Dassault, l’un des fils du célèbre avionneur, sont aussi invités.
Cet aréopage sarkozyste se retrouve régulièrement dans la propriété de Takieddine au cap d’Antibes. En août 2003, Jean-François Copé et Brice Hortefeux et leurs épouses partent ainsi en mer sur La Diva, le yacht de l’homme d’affaires. Voici, ci-dessous, une des photos de cette journée:
«Je ne suis allé qu’une fois ou deux chez lui, explique Brice Hortefeux contacté par Mediapart, et je n’étais pas au gouvernement. Il avait invité tout le monde à un grand dîner. Je suis peut-être sorti en bateau, mais je n’ai pas fait de croisière avec lui.» Certains, comme Jean-François Copé, séjournent longuement dans sa villa du cap d’Antibes, comme en témoigne cette photo ci-dessous datée du 13 août 2003:
Questionné par Mediapart sur ces vacances mais aussi sur d’autres déplacements à Londres, à Venise et à Beyrouth − dont Mediapart a retrouvé la trace −, Jean-François Copé a confirmé que dans le cadre de «relations strictement amicales», «sans aucun lien» avec ses «activités électives ou ministérielles», il avait été à plusieurs reprises «invité» par Ziad Takieddine.
Selon nos informations, l’homme d’affaires a effectivement pris en charge, via la société Translebanon, les voyages de Jean-François Copé et de son épouse à Londres puis à Venise, en octobre 2004. Et encore une fois à Londres, en octobre 2005. En octobre 2003, il fait aussi visiter le Liban à celui qui est alors secrétaire d’État des relations avec le Parlement, comme en témoigne une photo ci-dessous:
Lors de ce voyage, l’intermédiaire des frégates saoudiennes et des sous-marins pakistanais dîne d'ailleurs avec le ministre dans la résidence de l’ambassadeur de France. «Ce voyage comportait en effet une partie officielle et une partie amicale», indiquait-on, dimanche 10 juillet, dans l’entourage du patron de l’UMP.
À l’époque de ces escapades, Jean-François Copé est ministre et porte-parole du gouvernement. En mars 2004, il devient ministre délégué à l’intérieur, puis en novembre 2004, il obtient le portefeuille du budget. Les documents obtenus par Mediapart font apparaître à la date du 7 avril 2004, un «avoir de la famille Copé» s’élevant à 19.050 euros dans les comptes de l’intermédiaire.
L’équipe de M. Copé n’a pas donné d’explication à Mediapart sur ce point. En particulier, il n’a pas indiqué si cet «avoir» correspondait à un remboursement finalement opéré par le ministre. «On ne voit pas de quoi il s’agit», précise-t-on du côté de l’UMP.
Le clan Sarkozy au grand complet
Sur le même relevé de comptes obtenu par Mediapart, apparaît le nom de Pierre Charon, alors conseiller de Nicolas Sarkozy au ministère de l’intérieur. Une somme tellement modeste qu’on s’étonne qu’elle y figure: 110,13 euros. Un voyage en train? Un taxi? Pierre Charon ne s’en souvient pas, même s’il admet lui aussi avoir rencontré «deux ou trois fois» l’intermédiaire, dont «une fois sur la côte». «C’était une relation commune d’amis autour de Brice», explique-t-il à Mediapart.Une autre promenade en mer sur La Diva réunit Thierry Gaubert et Dominique Desseigne, héritier des casinos Barrière et patron du Fouquet’s, où Nicolas Sarkozy a fêté son élection à la présidence de la République en mai 2007. Dans les années 1980, M. Desseigne avait épousé l’ex-femme de Thierry Gaubert, Diane Barrière, décédée en 2001 des suites d’un grave accident. Voici une photo de cette journée en mer:
Précision utile: à l’heure de ces invitations, Ziad Takieddine s’emploie à décrocher − moyennant des contrats secrets de commissions − des marchés d’État au ministère de l’intérieur, alors dirigé par M. Sarkozy.
Le projet le plus important concerne à ce moment-là la protection des frontières de l’Arabie Saoudite, le “Saudi Border Guards Development Program”. Nom de code: Miksa. Le marché est estimé à 7 milliards d’euros! Seulement voilà, en décembre 2003, l’Élysée intervient pour stopper le ministère de l’intérieur dans ses négociations. Jacques Chirac va même jusqu’à interdire un déplacement préparatoire en Arabie Saoudite et finalement retire le dossier au ministère de l'intérieur.
Or, au sein du ministère, le contrat Miksa était géré en direct par deux hommes: Brice Hortefeux et Claude Guéant, en relation étroite avec Ziad Takieddine. «J’ai été en contact avec lui pour cette seule affaire Miksa, qui finalement ne s’est pas faite», assure Brice Hortefeux, qui admet avoir effectué l’un des voyages de négociations en Arabie Saoudite. «Ziad Takieddine avait des contacts avec les autorités, se rappelle l’ancien ministre. Est-ce qu’il a été utile au pays? Peut-être bien…»
Le fait est que l’Arabie Saoudite a, dans le passé, porté chance et fortune à Ziad Takieddine. Ainsi, dans l’entrelacs des circuits de commissions occultes mis en place entre 1993 et 1995 sur deux importants marchés d’armement, l’un avec le Pakistan, l’autre avec l’Arabie Saoudite, Ziad Takieddine a joué un rôle crucial.
11,8 millions d'euros de «paiements secrets»...
Ces deux marchés ont ceci de particulier qu’ils ont connu la même destinée une fois Jacques Chirac élu président de la République en 1995. Suspectant les balladuriens de financement occulte via ces contrats, le nouveau chef de l’État a interrompu, à l’été 1996, le versement des commissions restant dues au réseau d’intermédiaires au centre des soupçons. Ce fut une très mauvaise nouvelle pour Ziad Takieddine.Mais selon des documents inédits auxquels Mediapart a eu accès, l’homme d’affaires franco-libanais a finalement obtenu une partie non négligeable des commissions qu’il attendait de la vente de frégates. Après avoir engagé un processus arbitral, fin 1996, il a pu ainsi obtenir, en trois versements, 130 millions de dollars sur le «compte secret» n° 3585 ouvert à la banque de la Méditerranée à Beyrouth: 75 millions le 7 avril 1997, 25 millions le 31 décembre 1997 et 30 millions le 31 mai 1998.
Ces fonds sont aussitôt répartis sur d’autres offshore, notamment la Estar Ltd, bénéficiaire de plusieurs contrats de “consultants” signés en 1995 avec la Sofresa, un office d’armement appartenant à l’État français. Ziad Takieddine assure aujourd’hui que l’intervention de Rafic Hariri auprès de Jacques Chirac en sa faveur aurait débloqué les paiements.
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De fait, ces arrivées de fonds vont permettre à Ziad Takieddine d’opérer la plupart des achats immobiliers somptueux réalisés à partir de 1998: hôtel particulier à Paris, maison à Londres, villa au cap d’Antibes…
Mais ce n’est pas tout. Un tableau analytique de ses dépenses fait aussi apparaître une rubrique qui est ainsi baptisée: «Paiements secrets». Ces paiements secrets s’élèvent à 11,8 millions d’euros entre 2003 et 2008!
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Interrogé, dimanche, par Mediapart sur ces versements secrets et les voyages offerts à des personnalités, Ziad Takieddine a refusé de répondre à nos questions. «Qu’est-ce que vous voulez? Vous voulez abattre un président de la République? Eh bien faites-le, à votre manière, a-t-il commenté. Je n’ai rien à vous dire, sauf vous attaquer.»
«Allez donc voir ce que Villepin a touché», a-t-il rétorqué, sans en dire plus. «Je suis un homme propre et vous êtes sale. Vous êtes une des saletés les plus performantes dans la saleté.»
Complément du vote pour la guerre en Lybie
(Pris dans un article du Parisien du 12.07.2011).
482 députés (UMP et PS) ont voté en faveur de la poursuite des opérations, 27 contre. Au Sénat, la prolongation a été votée par 311 voix contre 24.
482 voix pour. En tout, 482 députés ont voté pour que ce soit dans les rangs de l'UMP, du Nouveau centre ou du Parti socialiste, François Bayrou et Jean Lassalle (MoDem), ainsi que les deux élus villiéristes Véronique Besse et Dominique Souchet et l'ex-villepiniste Daniel Garrigue. Les écologiste Noël Mamère et François de Rugy ont, eux aussi, approuvé la poursuite de l'engagement militaire.
27 députés contre. Communistes, écologistes (sauf Mamère et Rugy) et autres membres du groupe GDR (écologistes, Parti de gauche...), ils étaient 27 à voter contre la poursuite de l'engagement militaire français. Parmi les opposants figurent aussi le socialiste Henri Emmanuelli, ancien président de l'Assemblée nationale, le député UMP Jean Bardet, l'ex-UMP René Couanau et le président de Debout la République, Nicolas Dupont-Aignan.
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